K. Lear – Création 2007

©Antoine Abrieux
Clémentine Yelnik, Lear – Emmanuelle Laborit, Cordélia – Philippe le Gall, Le Fou

   « Le parcours de Lear est une traversée nocturne, un voyage au bout de la nuit dont il ressort nu, prêt à la mort »  

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Celui qui me dira qui je suis… Shakeaspeare a choisi de rendre compte d’un monde à la dérive avec un matériau éclaté. La pièce, dans sa structure, semble obéir à la logique organique d’un corps monstrueux. Par sa construction et son écriture, elle nous fait pénétrer de plain-pied dans le chaos qu’elle raconte. Pas d’enchaînement d’actions mais plutôt des juxtapositions grinçantes, des intrigues avortées, des propos incohérents, des hommes en errance, des personnages à la recherche d’eux-mêmes, de leur statut de personnages.K. Lear s’ouvre sur le crépuscule d’un monde et d’un homme et se clôt sur une aube incertaine. Un monde s’achève et fait place à un autre dont nous n’entrevoyons que peu de choses. Le parcours de Lear est une traversée nocturne, un voyage au bout de la nuit , dont il ressort nu, prêt à la mort. La vérité de Lear transparaît dans sa nudité : il refait en cette nuit symbolique le chemin inverse de sa vie et en ressort dans l’habit de sa naissance.

La vérité de Lear n’est pas sa réalité (real / royal / lear).

Cette révélation va tout lui coûter, mais elle lui vaudra de se trouver…de se retrouver. En choisissant une femme pour interpréter Lear, je voudrais rendre sensible cette distance, ce « chemin à parcourir » : ce voyage en lui, à la recherche de cet autre, n’est pas sans rappeler le chemin du comédien vers son personnage… Au terme de cette nuit, le roi démasqué, débarrassé de tous les attributs et illusions du pouvoir, n’est plus qu’un Homme…pas plus homme que femme d’ailleurs, il s’est désincarné…

Le climat de la pièce est celui d’une crise profonde, d’une mutation du monde. Tous les compromis antérieurs explosent, les crises sont soudain portées à leur paroxysme ; une humanité réduite aux huit personnages présents sur le plateau va vivre un bouleversement profond. Emportés par ce séisme, par cette tempête que déclenche Lear, les personnages vont se transformer, muter pour tenter de survivre. La nudité et la folie feinte des uns – Edgar et Kent – renvoient à la monstruosité intérieure qui s’empare des autres et les défigure. Goneril et Régane seront interprétées par deux comédiennes beaucoup plus âgées que les rôles : par l’artifice, elles incarneront la jeunesse et la beauté des deux princesses, puis en se démasquant soudain, elles livreront l’absolue noirceur de leurs personnages.

J’ai aussi voulu conserver la troublante ambiguïté avec laquelle Shakespeare a tissé ensemble les personnages de Cordélia et du Fou : visages distincts mais aussi tellement semblables d’un seul et même personnage ; métamorphoses contraintes de l’unique voix qui s’obstine encore à « dire le vrai » au beau milieu du chaos. Oscillant entre raison et folie, masque et vérité, pouvoir et humilité, paroles et silence, ces personnages shakespeariens se dérobent sans cesse à notre regard, à nos interrogations. Face au désir légitime de les incarner, de les diriger, de les mettre « en scène », ils se rebellent, esquivent, résistent…

Comment dire la vérité dans un monde où le langage est devenu un instrument de corruption et de perversion ? Il y a dans la première réplique de Cordélia, ce rien (presque un mot de trop), comme une tentative désespérée de s’accrocher à une forme d’innocence que ses sœurs ont souillée. Cordélia, dans son refus de dire, fait acte de résistance. Dans les répliques qui suivent transparaît sa double incapacité à formuler ses sentiments véritables et à produire un discours hypocrite. Elle va curieusement jusqu’à assimiler son refus de dire à une négation de la parole : une langue que je suis heureuse de n’avoir pas…

En confiant son rôle à Emmanuelle Laborit, j’ai voulu mener ce personnage jusqu’à l’extrême, en transposant le « dire rien » en un « rien dire » ou plutôt en rêvant pour lui d’un autre langage…d’une « rhétorique du cœur. » C’est au Fou – puis à Lear lui-même à la fin de la pièce – de signifier verbalement ce que Cordélia exprime dans son ballet gestuel. Le choix de la langue des signes s’est imposé comme un axe majeur de ma mise en scène, une ligne de partage entre les personnages et un symptôme de la « convertion » de Lear. Par-delà le choix esthétique dicté par la logique du texte, il est devenu pour moi une sorte d’engagement, considérant que le spectacle s’adresse aussi au public sourd, j’ai créé le personnage de «  l’homme », interprèté par Laurent Valo, comédien sourd, qui porte de façon poétique la trame de cette tragédie.

K. LEAR

D’après la « Tragédie du Roi Lear » de William Shakespeare / Traduction de Jean-Michel Déprats

Adaptation en Langue des Signes Chantal LIENNEL, Philippe GALANT, Anne-Marie BISARO et Marie MONTEGANI

Avec:
Clémentine YELNIK, Le Roi Lear – Emmanuelle LABORIT, Cordélia – Philippe LE GALL, Le Fou – Pascale ROBERTS, Goneril – Véronique AFFHOLDER, Régane – Laurent VALO, L’homme – Aurélie RUSTERHOLTZ, Un esprit – Patrice PUJOL, Kent – Cyrille HENRY, Oswald
Et la participation de David AYALA, Pauvre Tom
Gaëlle BELOT, Flûte / Christelle SÉRY, Guitare / Chin Ping LIN, Percussions
Nicolas SIMONIN, Lumières et images
Jérôme COMBIER, Musique
Sylvia RHUD, Scénographie
Françoise KLEIN, Costumes
Safy NEBBOU, Réalisation film / Clément OBERTO, Assistant film / Bernard SASIA, Montage film
Nicolas BOURRIGAN / Jean–Camille LAVAUD, Ingénieurs du son stagiaires